La Corogne
Le réveil fut tardif... Un couche de nuages épaisse enveloppait Sabali et les bateaux environnants d'un blanc laiteux, donnant un aspect fantomatique à la scène. Malgré la tentation de rester un jour de plus au mouillage pour se reposer, nous nous forçons à lever l'ancre et repartir. Les premiers milles se font sous une tension extrême car les bateaux de pêche ne sont visibles qu'à quelques centaines de mètres et ne montrent aucune intention de ralentir ou dévier leur route quand bien même nous soyons moins manœuvrant aux voiles.
L'épisode avec les orques ne nous quitte pas l'esprit non plus et c'est pleins de toutes sortes d'appréhensions que nous nous enfonçons dans la brume. Heureusement, celle-ci se dissipe assez rapidement et nous retrouvons une visibilité d'abord correcte, bonne ensuite. Le vent est portant et léger, c'est l'occasion parfaite pour nous de travailler nos empannages (virement de bord par vent arrière). Les manœuvres ne sont pas évidentes, il y a beaucoup de bouts à gérer mais le petit temps pardonne nos erreurs de débutants et nous continuons notre route sans soucis particuliers.
Dans la baie de La Corogne, le vent monte petit à petit et nous réalisons tout d'un coup que nous faisons route droit sur la terre et nous devons impérativement empanner, sauf que les forces en présence sont incomparables avec ce que nous avions connu jusqu'à présent dans la journée. La manœuvre se fait dans le chaos le plus total, on manque de peu de coucher le bateau, puis on reprend la route, sur une zone de vagues déferlantes cette fois. Ne nous sentant plus en mesure d'agir de manière maitrisée et calme, nous décidons pour le dernier mille d'affaler nos voiles et faire route au moteur. Que cet empannage raté nous serve de leçon pour la suite. Nous sommes reconnaissants de n'avoir rien cassé et ne tentons pas le sort.
A la marina, une voix nous appelle: "Sabali! Sabali!". Nous reconnaissons Tom, notre ancien voisin du BRYC, lui aussi parti faire un grand voyage avec Alex, sa femme, et leurs deux enfants! Les retrouvailles sont chaleureuses, ça fait toujours du bien de voir des têtes connues loin de chez soi. Comme fantasmé depuis des jours dans le Gascogne, nous partons à la découverte de la ville et de sa gastronomie afin de nous récompenser de notre traversée. Les tapas, charcuteries et produits de la mer locaux nous font du bien aux papilles et estomacs.
A la marina, la vie suit son cours: des bateaux arrivent, d'autres partent. Les discussions s'articulent à 95% autour des orques et des attaques récentes dans la région. Tout le monde partage les conseils glanés ça et là, dans l'espoir que si un jour un voilier est pris en embuscade, ils puissent servir. Un voisin de ponton, arrivé un peu secoué, lui aussi, par son entrée dans la baie partage avec nous sa prise du jour: un thon de plus de 15kg qu'il a découpé en filets. Il nous en donne au moins 1kg et nous nous en pourléchons les babines! Nous allons le déguster avec nos amis Suédois de Windy Sailing, arrivés eux aussi dans la marina. Quel régal! On a hâte de pouvoir, nous aussi, partager nos futures prises avec d'autres voisins de ponton! Dans cette optique, Ulf et Yegor achètent 500m de fil de pêche super résistant, espérant pouvoir le couper en 2. Évidemment, rien ne se passe comme prévu et le fil s'entortille en un amas de fil et de nœuds indémêlable maudit de tous les dieux marins.
Nous retrouvons également la maman et la sœur de Marlenë, venues nous rejoindre pour la semaine. Les retrouvailles sont chaleureuses mais la météo est capricieuse et nous avons peur d'être coincés à la Corogne durant toute la semaine de leur séjour. Finalement, une fenêtre météo se présente à nous le surlendemain de leur arrivée. N'hésitant pas une seconde, on planifie la navigation, briefe l'équipage et prépare le bateau. La Corogne aura été une étape agréable!
Muros
Pour cette étape, nous devions impérativement passer le Cap Finistère, faute de quoi nous nous retrouverions bloqués par la météo pour presqu'une semaine! L'étape allait donc être longue (près de 100 milles) et nous décidons de partir aux aurores pour espérer arriver avant la tombée de la nuit à Muros, notre destination logée au fond du Ria de Muros, non loin de Saint-Jacques de Compostelle.
Nous nous réveillons donc à 4.30 et appareillons l'esprit embrumé de fatigue. La baie de La Corogne est baignée d'un océan de lumières de la ville et il faut toute notre concentration pour distinguer toutes ces loupiotes inutiles des signaux lumineux importants pour les marins: bouées, cardinales, autres bateaux... Comme lors de notre arrivée, le vent accélère en s'engouffrant dans la baie et c'est donc contre 20 nœuds de vent que nous luttons pour sortir. Une fois au large, l'histoire est différente: les vents deviennent portants, les première lueurs de la journée percent le voile noir qui nous surplombe et réchauffent les cœurs.
Échaudés par notre expérience d'empannage raté, nous décidons de faire route au génois seul; cela nous rendrait légèrement plus lents mais beaucoup plus maniables et vu la présence de la famille à bord, nous préférons rester maitres de la manœuvre en toutes circonstances. La température grimpe, les milles défilent et aucune présence d'orques à l'horizon, que demander de plus? Comme pour nous répondre, une bande de dauphins viennent nous gratifier d'un extraordinaire spectacle: il sautent, passent d'un bord à l'autre du bateau sous la coque, nous accompagnent, s'éloignent pour mieux revenir et sauter à nouveau. Ce jeu dure bien quelques minutes et l'équipage est aux anges! La cohabitation de l'homme et de la nature peut donner lieu à de si belles rencontres quand elle est pacifique!
Nous approchons tout doucement du Cap Finistère et le vent est là pour en témoigner: il s'établit à environ 25 nœuds et monte jusque 30 en rafales. Nous nous félicitons de notre choix de faire route au génois seul! D'ailleurs, même sous cette configuration, le speedo affiche régulièrement des vitesses supérieures à 7 nœuds! L'empannage s'est passé sans accroche et nous filons à toute allure vers l'embouchure du ria.
Les derniers milles se passent sans histoire et c'est heureux d'avoir pu offrir une expérience de navigation agréable à nos proches que nous amarrons le bateau et allons dormir.
Santiago Di Compostelle
Lors de notre séjour à Muros, nous en avons profité pour nous balader dans le villages et les montagnes environnantes, faire des courses, gouter aux plats locaux mais aussi organiser une expédition à Saint-Jacques de Compostelle non loin de là. Nous avons donc pris un bus pour rallier la ville. Cela faisait plus d'un mois que nous n'avions plus connu de vitesses aussi élevées mais l'être humain s'adapte à tout et les réflexes de terrien reviennent vite!
Une fois sur place, nous nous melons au flot de touristes et autres pèlerins pour rentrer dans la vieille ville et visiter les lieux célèbres locaux. Après avoir passé plus d'un mois avec un horizon sans la moindre obstruction, cela nous fait un choc d'entre entourés de tant de monde! Conscients de faire partie du problème, nous ne pouvons néanmoins nous empêcher de pester sur le tourisme de masse! Comment allier notre soif de découvertes et les impératifs de préservation des lieux visités, sans parler des impacts écologiques des déplacements de plus en plus lointains que notre espèce inflige à la planète? Malheureusement, nous n'avons pas réponse à la question mais nos tripes nous disent qu'à moins de découvrir une source d'énergie quasi illimitée et gratuite, nous serons forcés de passer par une étape où les voyages devront être limités et nous serons forcés de re-découvrir notre voisinage proche...
En attendant, on continue à jouer des coudes pour progresser dans la cohue, tout en continuant à nous émerveiller de la beauté de l'endroit. C'est fou ce que la foi peut faire faire aux hommes! La journée touche doucement à sa fin et nous regagnons le calme de notre bateau. Une décision a été prise en cours de journée: faire route vers Vigo. La météo du lendemain nous permettrait de faire route aux voiles et cela nous permettrait de rapprocher la famille d'un lieu bien desservi pour regagner l'avion qui les emmènerait à la maison.
Vigo
Pour notre dernière étape avec la maman et la sœur de Marlenë, nous prévoyions un démarrage en force avec des vents portants de 25 nœuds et une accalmie totale dans l'après-midi. Nous démarrons donc avec une voilure réduite afin de conserver de la marge de manœuvre si le vent devait forcir.
Les premiers milles se passent comme prévu, nous avançons à bonne vitesse et visons directement le bout de l'estuaire afin de parcourir le moins de milles possible. Seulement, en bons débutants que nous sommes, nous avons complètement oublié de prendre en compte les effets locaux dus à la topographie des lieux et c'est ainsi que nous nous retrouvons complètement déventés par les montagnes de l'autre côté du ria. Un empannage plus tard, nous regagnons péniblement la zone avec du vent et restons bien sagement dans celle-ci, sans essayer de viser trop directement le cap à doubler.
Une fois au large, nous ne sommes pas au bout de nos surprises: une brume épaisse s'est invitée dans la journée et une fois de plus, nous nous retrouvons dans une couche blanche avec une visibilité des plus réduites en train de guetter l'horizon, prêts à bondir sur la barre à la première alerte. Marlenë a sorti la corne de brume et signale notre présence toutes les deux minutes par un son long et deux brefs. On ne sait pas si quelqu'un nous entend mais on préfère mettre toutes les chances de notre côté!
Par chance, à l'entrée du ria Vigo, la brume se dissipe et nous pouvons remonter le fleuve jusque Vigo avec une visibilité parfaite. Nous entrons dans la marina et visons le ponton visiteurs, comme une bonne dizaine de fois auparavant. Seulement là, une quinzaine de nœuds de vent accompagnent la manœuvre et tout change: le voilier a l'air d'être sur un tapis roulant et le moindre écart du lit du vent le fait partir totalement à la dérive. C'est donc une manœuvre chaotique avec un bateau qui part dans tous les sens qui parachève notre navigation avec la maman et la sœur de Marlenë. Heureusement, plus de peur que de mal et le bateau est solidement amarré. Aucun dégât n'est à déplorer, sauf à notre égo de marins. On s'en remettra...
Après une dernière semaine ensemble accompagnée d'une bonne pizza et ponctuée d'une nuit réparatrice, nous nous disons au revoir, non sans émotion. Nous voilà seuls à nouveau, heureusement pas pour très longtemps car la maman de Yegor et un ami de la famille nous rejoignent le surlendemain. En attendant, nous traversons le ria pour aller se mettre à l'ancre et passer les deux journées à avancer sur notre projet et le voilier.
Baiona
Pour récupérer nos passagers à Vigo, nous traversons le ria Vigo une fois de plus, mais dans une marina un peu plus excentrée cette fois. Nous accostons au ponton carburant que les employés de la marina nous laissent gentiment occuper le temps de faire un avitaillement et retrouver Marina (la maman de Yegor) et Adrian. Une fois le nouvel équipage embarqué, nous regagnons le mouillage de la veille pour y passer une petite nuit tranquille et partir à l’aventure le lendemain.
Au réveil, nous mettons cap vers Baiona, à l’embouchure du ria Vigo. A l’approche du port, nous sommes pris en étau entre un énorme yacht moteur et un bateau de pêche qui, ni l’un ni l’autre, n’ont esquissé le moindre mouvement pour prévenir l’accident. N’ayant aucune latitude pour manœuvrer, Yegor est forcé de mettre le moteur au point mort pour laisser passer le bateau de pêcheurs tout en hurlant dessus pour au moins attirer leur attention sur le fait qu’il est lancé à pleine balle sur un autre bateau alors qu’il lui suffit de faire un coup de barre pour que tout le monde ait la place nécessaire pour manœuvrer. Une fois le danger passé et les esprits calmés, nous gagnons notre mouillage et partons explorer la ville. De retour au mouillage, on constate qu’un voilier cherche à mouiller son ancre juste à côté de nous, beaucoup trop près que pour être en sécurité. Nous essayons de l’alerter mais le skipper nous remballe sèchement. C’est impuissants que nous assistons à sa manœuvre de mouillage : envoyer l’ancre, faire marche arrière pour la faire accrocher, constater qu’elle n’accroche pas, essayer de mettre plus de chaîne, en mettre trop, la perdre et rattraper la fin du bout pour l’empêcher de couler définitivement. Le tout à moins de 20 mètres de Sabali ! Heureusement, l’équipage réalise son erreur, remonte tant bien que mal son ancre et les 50 kg d’algues qu’ils ont accroché avec et part la queue entre les jambes (il y avait plein de places juste un peu plus loin !). Nous sommes encore ébahis par le manque d’étiquette de certains marins !
Le mouillage très calme est aussi une excellente occasion de travailler sur notre voilier, un job en particulier que Yegor repoussait depuis un petit moment : grimper en tête de mât pour y installer une poulie afin de faciliter le passage de la drisse (corde qui sert à hisser) de la GV. Une opération qui se fait en quelques secondes au sol nécessite des dizaines de minutes de préparation au sol et autant d’exécution une fois là-haut : le moindre outil mal tenu peut aller se fracasser sur le pont du bateau 15 mètres plus bas et causer des dégâts importants. Tout bouge, on y est mal assis, les mains sont moites, bref, une expérience des plus désagréables ! Évidemment, rien ne se passe comme prévu : certains outils ne sont pas adaptés, certaines pièces sont trop courtes ou trop longues, la géométrie de l’ensemble ajoute une série de contraintes et de frottements non prévus au préalable, bref, après 2 voyages en haut pour Yegor et un pour Adrian qui voulait essayer, nous constatons qu’il nous manque certaines pièces d’accastillage et que ce job doit être remis à plus tard.
Il est temps pour nous cependant de quitter l’Espagne et attaquer une nouvelle partie de notre (on l’espère) long périple : le Portugal. L’équipage va se coucher de bonne heure afin d’être frais pour la navigation du lendemain.
Beaux récits et belle écriture. Bravo