Après avoir préparé la traversée du Golfe de Gascogne autant qu'on aurait pu la préparer, on essaye de gagner quelques heures de sommeil en se couchant tôt car le départ est prévu à 1h30. En effet, avant de s'engager dans le golfe, une autre étape, non moins emblématique nous attend: le Raz de Sein et ses courants (encore). Nous démarrons donc en force en quittant Douarnenez dans la nuit de lundi à mardi.
Il y a moins de vent que prévu et nous sommes forcés de démarrer le moteur. Après 2 heures de navigation dans le noir de cette nuit sans lune entrecoupée des feux de hunes de l'un ou l'autre pêcheur, notre moteur émet un gros claquement et... s'arrête net! Nous sommes à 0.4 milles nautiques des côtes et il est donc impératif de réagir vite. On fait tout de suite cap vers le large et on hisse le génois (= voile d'avant du bateau) dans l'espoir de capter le peu de vent qui souffle pour reprendre de la vitesse. Pendant que Marlenë manœuvre à la barre et aux voiles, Yegor fonce dans la cale moteur et tente de comprendre le souci. Un voyant d'huile est allumé et il rajoute de l'huile dans le circuit au cas où. On avait pourtant vérifié le niveau avant de partir...
On essaie de redémarrer et même si le moteur tourne une fois qu'on met la clef de contact, il se bloque dès qu'on enclenche la marche avant. Un problème d'inverseur peut être? Après quelques essais, notre vitesse à la voile, déjà très faible, meurt totalement. Nous partons donc à la dérive et décidons de passer un appel de détresse pour que quelqu'un vienne nous remorquer. Yeg s'apprête tout de même à sauter à l'eau pour voir si nous ne nous sommes pas empêtrés dans des filets de pêcheurs. Par chance, un bateau de pêche arrive au même moment sur les lieux et nous lui lançons une amarre. L'idée est qu'il nous éloigne des côtes et qu'il nous laisse dériver au large le temps que les secours officiels arrivent. Après environ 30 minutes de traction, la ligne de remorquage casse net. On se rend compte qu'on est bel et bien amarrés par le fond, attachés à des cageots de pêcheurs qui sont venus se glisser dans l'hélice, invisibles en pleine nuit. Yegor plonge cette fois, un bout noué autour de la taille et après 3 tentatives dans une houle pas commode, il nous libère de l'étreinte de ce piège qui aura fini par attraper un poisson trop gros pour lui.
On redémarre le moteur, on enclenche la marche avant et cette fois, on repart sans anicroche et on annule les secours. On remercie chaleureusement "Kraken", le petit bateau de pêche qui nous a prêté main forte et c'est parti pour la prochaine étape: l'Espagne! Une belle frayeur pour nous si près de la côte, mais un moment d'apprentissage où on réalise qu'on a réussi à garder notre "cool" même en cas de crise. On est encore un peu sonnés mais quand même un peu contents de nous.
S'ensuivent un peu moins de 72 heures de Gascogne avec une première journée au travers / bon plein (= vent de côté ou légèrement de face) et sa houle un peu hachée qui secoue les estomacs. On rentre néanmoins dans notre première nuit assez sereins et on se relaye toutes les trois heures, Yegor de 22h00 à 1h00, Marlenë de 1 à 4, lui de 4 à 7 et elle de 7 à 10. S'étant levés à 1h00 la veille et ayant enchaîné avec notre nuit musclée, la première nuit de quarts est bien fatigante, mais se passe plutôt bien. Pas de lune donc plein d'étoiles. Puis, on avance bien aussi. Près de 120 milles en 24h, on fait une bonne moyenne. On fait un point météo avec les pêcheurs à la radio de temps en temps. Cela parle parfois anglais, turc ou chinois et on se dit que les poissons du coin sont décidément sollicités par la planète entière.
Le lendemain, après avoir passé la fin du dernier quart de nuit à nous traîner misérablement à 2 nœuds de moyenne avec un vent en chute libre, on décide de lancer le moteur car on sait que cela sera pétole (= zéro vent) toute la journée et une partie de la nuit. C'est donc sans gloire qu'on avance cette deuxième journée, frustrés que nous sommes de devoir recourir au moteur mais devant avancer vers le sud car une vilaine météo est prévue pour la fin de la semaine. Pour nous remonter le moral: des myriades de dauphins qui viennent jouer à l'étrave, puis le dos majestueux d'une baleine qui s'approche à côté du bateau pour dire bonjour et repartir au loin. Yegor dit toujours que voir une baleine en mer, c'est une belle récompense. On est bienheureux. La fin de journée passe à l'analyse des nuages dans le ciel avec le livre des Glénans ouverts sur les genoux. Les cirrus, altostratus et altocumulus qui flottent en l'air nous annoncent une dépression. On savait avant de partir que la journée du jeudi serait faite de vents contraires. On attend donc la suite des festivités. Avant d'aller dormir, on mange un stoemp saucisses préparé avant le départ. Faut croire que le mal du pays nous ronge déjà lors des moments d'éloignement.
La deuxième nuit de quart passe encore au moteur et on est plus en forme que la nuit précédente. Le rythme s'installe. Le ciel se découvre petit à petit au fil de la nuit et on tente de déchiffrer les constellations. On plisse les yeux pour distinguer les étoiles des feux de hunes qui pourraient briller à l'horizon. Puis comme une petite délivrance, le jour se lève. Dès le jeudi matin, le vent reprend et on change de cap pour marcher aux voiles. Cela fait du bien d'entendre le moteur s'éteindre (quand c'est nous qui le décidons). Si le vent reste faible en matinée, on commence à apercevoir les falaises de Galice vers midi et les rafales montent vite dans les tours. On passe les 10 heures suivantes à tirer des bords en louvoyant contre 15 à 22 nœuds de vent et même si le bateau écrase lourdement son nez dans les vagues et que l'après-midi devient tout à coup sportive, on est super contents de terminer le périple à la voile. On se dit qu'on méritera un peu plus notre Gascogne.
On rêve d'une douche et de calamars et poissons grillés quand à quelques miles des côtes, on entend la radio cracher un Pan Pan. Il s'agit d'un bateau français qui a du mal à communiquer avec les gardes côtes en anglais ou en espagnol, et qui donne sa position tant bien que mal " Four, huit, Norde...". Il est à peine à 20NM de nous. Nous sommes tout ouïe. On finit par comprendre que son bateau est à la dérive car... il s'est fait attaquer par des orques ! On avait déjà lu que ce genre d'attaques pouvaient arriver dans la région, les orques s'en prenant aux safrans (=partie du gouvernail immergée) des bateaux pour des raisons encore inconnues. On appelle le type à la radio et on lui dit de plonger une barre métallique dans l'eau et de taper dessus avec un marteau pour les éloigner. C'est le conseil qu'on avait reçu avant de partir, même si son efficacité reste un mystère. De notre côté, on fonce récupérer le tangon à l'avant du bateau (= sorte de petite bôme qu'on attache à l'avant du mât pour y amurer certaines voiles ==> merci Vincent) et on sort le marteau et la spatule en inox du tiroir de la cuisine. On est parés à défendre la forteresse Sabali! En cuisinant les restes de stoemp, Marlenë se demande si l'odeur de saucisse n'attirera pas ces prédateurs redoutables, mais RAS, aucune virgule noire n'apparaît à l'horizon. Plus de nouvelle du français à la radio par la suite, on espère que tout s'est arrangé pour lui. Fin de journée, on capte à nouveau la météo et on se rend compte que la nuit sera brumeuse et déventée jusqu'à la Corogne. On décide alors de faire escale au mouillage à Cedeira, plus proche, et de repartir le lendemain pour la Corogne. Arrivée en pleine nuit mais avant la tombée de la brume dans une petite crique protégée. On mouille l'ancre et épuisés mais ravis s'écroule dans notre cabine.
C'est donc après une nuit à dormir comme des pierres, heureux comme Ulysse d'avoir réglé notre panne moteur, traversé le Gascogne à deux, vu une baleine et échappé aux orques du coin, qu'on quitte le mouillage calme niché au milieu des forêts. On part dans la brume ce matin mais le temps s'est déjà levé et ce soir, on goûtera à notre première Caipirinha du voyage après avoir posé le pied à terre pour la première fois depuis lundi.
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